UN AUTRE MORT EST POSSIBLE

(Italie)

Dans une Italie aux prises avec une situation sociale explosive principalement due au démantèlement de la FIAT, pilier économique national, il est des pratiques du contrôle social qui perdurent. Le fait de gérer les conflits sociaux à travers la loi, donc par la police et les magistrats, représente ce qu’on appelle « la judiciarisation » du domaine politique. C’est l’état qui décide de la légalité ou de l’illégalité de telle pratique ou de telle opinion politique. Elle a prouvé son efficacité dans la répression du mouvement de lutte armée dans l’Italie des années soixante-dix, et au vu de récents événements, le pouvoir semble plus que jamais décidé à en faire usage. D’autant plus que d’autres pays européens utilisent de plus en plus ce procédé : interdiction de Batasuna en Espagne, inculpations et mises en examen de militants ou de grévistes en France.
Mais revenons à l’Italie où les policiers s’étaient violemment déchaînés sur les manifestants opposés au G8 à Gênes en juillet 2001, les magistrats n’allaient pas rester sans rien faire. Déjà, au lendemain des émeutes une dizaine de manifestants venant d’Allemagne avaient écopé d’un mois de prison ferme et 300 mises en examen avaient été prononcées dans les mois qui ont suivi avec enquêtes et interrogatoires. Quelques procès (principalement pour outrages et violences) ont déjà eu lieu sans qu’aucune condamnation à la prison ferme ne soit prononcée.
Dans la nuit du 15 novembre 2002 une vague d’arrestations et de perquisitions a lieu dans le sud de l’Italie contre « la Rete Sud Ribelle » (rassemblement de différents syndicats et d’associations contre l’OSCE, créé à Naples en mars 2001) : 42 personnes sont mises en examen, 20 sont arrêtées et 13 sont incarcérées dont Francesco Caruso, chef des Disobbedienti de Naples. Les inculpations sont : association subversive, conspiration politique, attentat contre un organe institutionnel, port d’arme par destination, propagande subversive, incitation à désobéir, occupation de locaux et résistance à officier de la force publique. Dans les textes de loi, on les accuse de vouloir mettre en péril « l’ordre économique et social de l’état ». Ils sont en fait suspectés d’avoir organisé les violences durant une manifestation à Naples en mars 2001 et l’émeute de Gênes en juillet. L’enquête s’est basée sur de multiples écoutes téléphoniques et interceptions de courriers électroniques, ainsi que sur quelques photos. Elle a été menée par les ROS (Regroupement Opératif Spécial) une unité des carabiniers dirigée par Giampaolo Ganzer qui s’est illustré dans son combat contre la lutte armée en menant des rafles similaires. Pourtant cette fois-ci on ne pouvait reprocher des faits de terrorisme, et c’est sur la base de l’article 270 – association subversive – et 272 – propagande subversive – du code fasciste Rocco de 1930 (le mouvement fasciste, rappelons-le, s’est fondé sur son aptitude à briser les grèves), que les arrestations ont été ordonnées par deux magistrats du tribunal de Cosenza, une petite ville du sud. Les carabiniers ont eu du mal à trouver des magistrats prêts à poursuivre pour un délit d’opinion et d’association des individus reconnus dans les milieux syndicaux et médiatiques. La manœuvre semblait politiquement hasardeuse. En effet ces derniers temps le mouvement NO GLOBAL avait gagné beaucoup de crédit dans les médias et auprès des partis de gauche, en organisant une manifestation pacifique d’un demi-million de personnes durant le Social Forum de Florence (le seul acte de violence répertorié est une vitrine cassée par un garçon de 15 ans qui a manqué d’être livré à la police par les manifestants qui sont venus immédiatement déposer de l’argent dans le magasin pour dédommager le brave commerçant). On voit même certains députés de Forza Italia (le parti de Berlusconi) mettre en doute la viabilité politique d’une telle opération de police. Un officier napolitain de la DIGOS (les RG italiens) déclare que Caruso « est seulement un gigantesque casse couille, un mystificateur de haute volée, un créateur d’événements et par-dessus tout un agitateur médiatique », mais pas un subversif. Cela nous renseigne aussi sur la puissance et la relative indépendance dont jouissent les ROS, une institution militaire qui n’en est pas à sa première opération de répression politique en utilisant des méthodes très peu regardantes sur la loi. La dernière en date est l’affaire de l’ORAI, un groupe anarchiste inventé de toutes pièces, qui a permis l’interpellation en 1996 d’une soixantaine de personnes dont certaines sont encore emprisonnées à ce jour ou mises en examen sur la base de l’article 270.